Giving in {R.}

Pour une surprise, c’était une surprise. Elle ne s’était jamais attendue à se réveiller au son de son portable. Le seul luxe qu’elle s’était accordée en arrivant à Naples. Ça avait l’avantage de donner l’illusion qu’elle avait un toit sur la tête. Ce qui n’était pas le cas. Elle s’était réveillée dans un coin de la réserve de la Cisterna avec son amie Valery de l’autre côté de la ligne. Elle lui baragouinait quelque chose comme quoi elle arrivait à Naples dans quelques heures. Ce n’était pas possible s’était elle dit. Pourquoi une fille auquel elle n’avait pas adressé la parole depuis des années prendrait un avion pour venir la voir. Valery, Peter Donnelly deuxième du nom et elle avait été les meilleurs amis du monde à une époque. Jusqu’à ce que le père de Peter s’en prenne aux amies de son fils. Certains disaient pendant le procès que l’adolescent témoignerait contre son père.

Elle ne posa pas trop de question, parce qu’au fond elle savait pourquoi Valery venait la voir et elle préférait ne pas y penser. Elle était allée l’attendre à l’aéroport très nerveuse. Elle ne savait pas ce qui se produirait lors des retrouvailles.

*Ça fait tellement longtemps* répéta-elle un million de fois.

La rencontre dans son ensemble se passa bien. Ce fut la suite qui fut plus difficile à gérer pour Effie. N’ayant pas d’endroit ou vivre elle n’Avait pas d’appartement à faire visiter à son amie. Elle la traina donc au garage en lui disant qu’elle y passait la plupart de son temps en plus d’y travailler à temps partiel. Ce n’était pas un mensonge. Le reste de la journée se passa de la même façon. Elles discutèrent de tout et de rien. Elles étaient installées devant une bière dans un petit pub de la Marina quand Valery révéla la véritable raison de sa présence à Naples.

« Je voulais seulement savoir si tu allais bien après la nouvelle. »

« De quelle nouvelle tu parles, Valery ? »

La jeune femme rougit jusqu’à la pointe de ses petites oreilles.

« Le Vieux Donnelly a été libéré sur parole. »

« QUOI? »

Se levant brusquement, elle fit tomber sa chaise et abandonna son amie. Elle partait le soir même et Effie ne serait pas là pour la raccompagner. Quelques heures plus tard, elle était dans une bar miteux quelconque à enfiler les verres de whiskey jusqu’à ne plus sentir le bout de ses doigts, mais ce n’était pas suffisant. Elle voulait effacer cette sensation qu’elle avait qu’il était là à sa regarder. Qu’il était tout près n’attendant que l’occasion pour avoir ce qu’il n’avait pas réussie à lui prendre ce jour là. Désespérée, elle avait prit ses petites économies pour acheter une dose.

*Seulement une !*, s’était-elle dit.

Elle se souvenait plus ou elle devait être. Elle devait aller quelque part. Quelqu’un l’attendait, mais elle n’arrivait plus à se souvenir. Tremblante, elle s’était dirigée vers les quais ou elle s’installa pour prendre sa deuxième dose de la soirée. Les efforts des derniers mois étaient anéantis, mais elle s’en foutait. Ça faisait tellement du bien se souvenir de rien. Avoir la tête vide de tout. Rien ne pouvait plus l’atteindre. Rien sauf lui. Elle ouvrit les yeux pour fixer son ami. Elle n’arrivait pas à dire son nom, mais elle savait qu’il était important pour elle. Et il était là pour elle. Elle n’avait pas la capacité d’Avoir honte de son état pas maintenant, mais elle ne pouvait détacher son regard de celui de Damiano.

« Tu sais quoi? », demanda-t-elle d’une voix faible qui dépassait à peine le stade du murmure.

“I surrender myself in the arms of a beautiful stranger
I surrender myself to you”

Tout Naples dormait probablement déjà d’un sommeil de plomb, seules quelques exceptions erraient encore dans les ruelles silencieuses et mal éclairées mais elles se faisaient de plus en plus rares car chacun regagnait son domicile à cette heure avancée de seconde partie de soirée. La barre des minuits étaient dépassée depuis quelques minutes à présent mais Damiano ne semblait nullement pressé de rentrer chez lui, sachant pertinemment qu’il n’y aurait personne pour l’accueillir ; même le chat ne l’attendait plus pour aller se coucher. Avec les nombreux beaux jours d’été qui se succédaient, tout le monde ressentait plus ou moins le besoin et l’envie de partir quelque temps en vacances et c’est ce qu’avaient fait ses deux parents, actuellement en pleine séance de bronzage sur le sable chaud des plages dorées de Tahiti. On pouvait clairement dire qu’ils ne s’emmerdaient pas mais à défaut de ne pouvoir à leur tour quitter le pays, les enfants Manzoni avaient tout de même l’avantage d’être un peu tranquilles durant la longue absence de trois semaines de leurs géniteurs, de quoi contenter notre jeune italien qui se satisfaisait déjà de cette grande maison vide qui lui appartenait. Il n’y avait qu’en été que l’idée ingénieuse d’aller se dorer la pilule ailleurs les prenait, par conséquent Damiano devait les supporter le reste de l’année. Autant dire que le mois de juillet et d’août étaient attendus comme la venue du messie.

La chaleur était au rendez-vous tout comme ses nombreux amis qui ne manquaient jamais une seule occasion de l’entraîner dans diverses soirées. Hormis les histoires de cœur déplaisantes de sa sœur qui l’irritaient bien malgré, rien de particulier ne venait obscurcir ce magnifique tableau estival. Préférant la cadence de ses jambes à la rapidité de sa voiture, Damiano marchait d’un pas lent en direction de la maison familiale dans laquelle un bon lit douillet l’attendait. Ce soir encore, il s’était battu. Les combats se faisaient de plus en plus fréquents ces temps-ci, sans doute avait-il besoin de s’extérioriser plus que d’habitude. Quoi qu’il en soit, sa lutte acharnée ne se déroula malheureusement pas de la manière qu’il l’aurait souhaité. Au fil des mois, il s’était habitué à la présence enthousiasmante et attachante de Perdita qui ne manquait ses combats sous aucun prétexte ; à l’image d’un fan incontournable et incontestée, elle le suivait partout et le motivait qu’importe les intempéries dont souffrait son moral. Elle était là pour lui souhaiter bonne chance et l’encourager, mais elle était aussi présente les soirs de défaites, jouant bien souvent le rôle de petite infirmière prête à panser les blessures incessantes dont son visage était victime. Seulement cette fois-ci, la jeune femme avait manqué à l’appel pour une raison qu’il ignorait encore. Malgré ses innombrables coups de téléphone, elle n’avait pas jugé bon de lui répondre pour lui donner ne serait-ce qu’une explication. Après tout, elle avait une vie en dehors de leur amitié et il comprenait parfaitement qu’elle puisse avoir un empêchement de dernière minute. Encore fallait-il qu’elle daigne le prévenir.

Alors qu’il piétinait plus qu’autre chose, le regard pensif et lointain fixé droit devant lui et le goût amer de sa défaite encore présent dans la bouche, il s’arrêta net après être passé devant une silhouette inerte assise à même le sol sur les quais de la Marina au bord desquels il se promenait présentement. Il recula de plusieurs grandes enjambées et tourna la tête vers Effie dont les yeux vitreux observaient l’eau calme dans laquelle se reflétait une Lune pleine. « Perdita ? » Souffla-t-il, incrédule. Mais il n’obtint aucune réponse de sa part. Ce ne fût seulement au moment où il prit place à ses côtés qu’elle consentit enfin à remarquer sa présence. Face à la question qu’elle lui posa, le jeune homme fronça les sourcils d’inquiétude. Etait-ce seulement une impression ou était-elle réellement déchirée ? Si tel était le cas, il trouvait ses fréquentations bien imprudentes. Alors qu’elle avait indéniablement bu et certainement consommé d’autres substances, elle se retrouvait au bord de l’eau et seule de surcroît. Qui avait bien pu la mettre dans cet état ? Il ne songea pas immédiatement au fait qu’elle puisse éventuellement vouloir se ‘détruire’ seule et se remit debout tout en l’agrippant sous les aisselles pour qu’elle en fasse de même. « Non, mais tu raconteras en chemin. » Lui répondit-il d’une voix posée.

Glissant un bras autour de sa taille et l’obligeant à passer le sien autour de son cou, il se remit en marche en direction de chez lui mais dut toutefois ralentir l’allure de ses jambes car celles de Perdita ne semblaient de toute évidence pas décidées à avancer dans des mouvements symétriques réguliers. La maison ne se trouvait plus très loin mais au bout de quelques mètres franchis, le corps de la jeune femme tangua dangereusement sur le côté, forçant ainsi Damiano à sortir de sa propre trajectoire. Jugeant qu’il serait plus futé de la porter pour regagner plus rapidement leur destination finale, il la souleva du sol sans son consentement et finit le chemin de cette manière. Lorsqu’ils furent enfin arrivés et rentrés à l’intérieur, il grimpa agilement les quelques marches qui le séparaient de l’étage supérieur et pénétra dans sa chambre avant de la déposer en douceur sur le lit et de lui ôter ses chaussures par la suite. « Tu veux un verre d’eau ? » Lui demanda-t-il même s’il avait plus l’impression de s’adresser à une épave comateuse qu’à une jeune femme.

Les étoiles. Ses yeux restaient accrochés à ses petits points lumineux dans le ciel. Elle était incapable de détourner le regard de ces petites boules de feu qui semblait plus près qu’elle ne l’avait jamais été. Elle avait l’impression que si elle tendait la main elle pourrait y toucher. Se brûler le bout des doigts sur une étoile qui bientôt devrait s’éteindre. Comme elle. Elle ne savait plus trop quand comme si un médecin avait oublié d’inscrire l’heure de décès de son patient. De loin on la voyait toujours brillé, mais les années lumières ne changeraient rien au fait que plus aucune lumière n’émanait d’elle. Plus aucune joie. Elle aurait aimée avoir la force de se relever, mais elle savait au moment ou elle avait pris place sur le sol qu’elle serait bien incapable de se relever. Elle n’avait plus la force pour se lever, pour attendre au lendemain. Elle ne voulait plus dormir n’importe où ou avec n’importe qui. Elle voulait arrêter. Si elle se laissait tomber dans l’eau tout de suite tout serait fini. On annoncerait dans quelques semaines à ses frères qu’on avait retrouvé son corps. Cause du décès : Noyade. Ils se douteraient des circonstances, mais ils la pleureraient quand même. Personne d’autre ne le ferait. Personne ici à Naples en tout cas. Personne ne la chercherait si elle disparaissait. Du moins, elle le pensait. Peut-être bien Aidan et Samuel serait frustré qu’elle ne rentre pas pendant quelques jours.

« Non, mais tu raconteras en chemin. »

Elle le regarda comme elle avait regardé les étoiles. Avec une nouvelle fascination. Ses traits semblaient plus tiré et inquiet. Pourquoi était-il inquiet? Il avait peut-être perdu son combat. Son combat!! Voilà ce qu’elle avait oublié. Il avait un combat ce soir. Elle soupira, tandis qu’il la prenait sous les aisselles pour la relever.

« Dam? Tu as gagné ou pas? »

Elle tenait à peine sur ses pieds et s’il ne l’avait pas soutenu elle n’aura pas fait deux pas dans la bonne direction sans tomber. Elle ne sentait plus ses orteils, ni ses jambes.

« Tu vois le toit! » s’exclama-t-elle en pointant le ciel étoilé.

Le poids mort qu’elle était leur fit perdre leur équilibre déjà précaire. Elle pouffa de rire, puis grogna quand il la souleva, oubliant une seconde ce qu’elle disait.

« Tu vois le toit ici », finit-elle par reprendre. «Il est plus beau que tous les autres. Certainement plus beau que celui de la Cisterna. »

Elle avait l’impression que ses lèvres très lentement et sa langue était épaisse, sa bouche sèche. Elle détestait le silence et sentait le besoin irrépréhensible de le combler, mais pour une fois elle se taisait. Laissant tomber sa tête contre le torse de son ami. Les étoiles dansaient au dessus de leur têtes maintenant et lui donnait le mal de mer. Elle décida donc qu’il était préférable de se taire. Les yeux fermé, elle se laissait bercer dans les bras de son ami. Il y eut un changement de rythme. Des escaliers peut-être ses sens étaient trop flous pour lui affirmer avec précision. Puis elle bougeait plus, elle ouvrit lentement les yeux espérant reconnaitre les lieux. Ce qui était très peu probable comme elle ne connaissait que la Cisterna et le garage de Fisher.

. « Tu veux un verre d’eau ? »

«Non!! Je ne veux pas dormir. », s’écria-t-elle comme si on venait de la condamner à mort.

Elle savait ce qu’arriverait si elle dormait. Les cauchemars reviendraient et Jonas n’était plus la pour la réveiller et la réconforter. Rester éveiller à tout prix, voilà ce qu’elle devrait faire. Combattre l’engourdissement de ses muscles et de son esprit.

Et le verre d’eau? Qui a parlé de verre d'eau?